Tout plutôt qu’un vrai boulot — Tex Cobb (42-7-1)

Culture Boxe

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Dans les années 20 et 30, Jim Tully était une célébrité nationale, connu aussi bien en tant que romancier pionnier, journaliste au titre et comparse de Charlie Chaplin, que pour avoir mis son poing dans la tronche d’une grande star du cinéma a l’occasion du Brown Derby. Tully était un contributeur important à “Vanity Fair” et au “American Mercury” de H.L. Mencken, mais dès la fin des années 1940, il était tombé dans l’oubli.

J’ai vécu dans plus d’un bordel où les rebuts de la vie trouvaient refuge. J’ai fraternisé avec les épaves humaines dont les mains tremblaient comme celles de Parkinsoniens,… avec des dégénérés et des pervers, souillés et pouilleux, avec des drogués tellement accrocs qu’ils se shootaient des seringues d’eau dans les bras afin de calmer leurs douleurs sauvages.

Jim Tully

En 1992, à Kent dans l’Ohio, un homme entra dans la librairie de Paul Bauer pour demander un livre de Jim Tully, “le père de du roman noir”. Bauer en resta confus. Il n’avait jamais entendu parler de Tully, et appela son ami Mark Dawidziak, alors chroniqueur au Akron Beacon Journal, à la rescousse.

Dawidziak se procura l’ouvrage de Tully “Shanty Irish” (La baraque irlandaise) chez un autre libraire pour $2.50, puis se mis en quête de dénicher l’intégralité des 12 romans de Tully, allant de librairie en librairie à l’affut de la moindre référence à Tully. En fouillant les archives du journal où il était employé, Dawidziak découvrit que Tully y avait travaillé comme journaliste. C’était un signe : les deux hommes décidèrent d’écrire la biographie de Jim Tully.

Un bibliothécaire les informa que les documents personnels de Tully se trouvaient à la bibliothèque de UCLA (University of California Los Angeles).

Ils prirent l’avion pour Los Angeles et mirent la main sur 117 cartons de lettres, articles et extraits de journaux. “Un véritable trésor”, expliquent-ils, qui leur permit de reconstruire morceau par morceau l’incroyable vie de Tully.

Tully est né en 1886 à St. Mary dans l’Ohio. Son père était terrassier, et sa mère mourut quand il avait 6 ans. Tully passa son enfance à l’orphelinat – puis, à 12 ans, son père le plaça comme ouvrier agricole chez un fermier brutal.

A 13 ans, Tully s’enfuit et retourna à St Mary, où les vagabonds lui racontèrent leurs récits de voyages. A 14 ans, Tully les rejoignait, tournant “gamin de la route”, “apprenti vagabond”, raconte Dawidziak. Le reste de son adolescence, il la passa sautant de train en train en compagnie de vagabonds, prostituées, et forains.

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L’archiviste de UCLA Alisa Monhaim explique, “L’une des rares options dans cette situation, l’un des rares endroits où l’on peut aller se protéger de la chaleur ou du froid, ce sont les bibliothèques.” C’est là qu’apparemment Tully apprit, seul, à lire et à écrire.

En 1906, à 20 ans, Tully se fit boxeur.

Alors que je chancelais ayant mangé une large droite descendante je me vengeais déjà en ratissant du poing les dents dans la mâchoire de Tierney. Je tentai de passer sous sa garde. Tierney vit le coup venir. Son bras droit, solide, para mon attaque. Nos gants à ce point étaient trempés de sang et d’eau. Mes reins pulsaient de douleur.

Jim Tully à propos de son combat avec Chicago Jack Tierney.

« C’était clairement un boxeur sans aucun entrainement, mais il n’avait peur de rien », raconte Bauer. “Il acceptait de prendre des coups, d’absorber les punitions, si ça lui permettait de rentrer sous la garde et de placer ses attaques.” Bien qu’il eût quelques succès, “Il avait vu des mecs mourir sur le ring. Il en avait vu devenir aveugle. Et je crois bien qu’il a réalisé que ce n’était pas une carrière dans laquelle il pourrait faire de vieux os.”

Tully épousa sa première femme en 1911. Ils eurent deux enfants, Alton et Trilby, et déménagèrent pour Los Angeles.

Il passa 10 ans à voyager travaillant simultanément comme débroussailleur et sur son premier roman, “Emmett Lawler”. Il envoyait aussi des poèmes à des journaux ainsi que des articles sur le vagabondage et la boxe à divers magasines.

La renommée du travail de Tully grandissait parmi les écrivains et éditeurs auprès de qui il cherchait conseil : Jack London, Upton Sinclair et H.L Mencken. A son arrivée à Los Angeles, il se fit d’importants amis, dont Lon Chaney et Erich von Stroheim.

Paul Bern était l’un des meilleurs amis de Tully. Producteur à la MCM, il l’invita à une fête, sachant que Charlie Chaplin serait de la partie, et que les deux hommes auraient des choses à se raconter. En 1923, Charlie Chaplin fit de Jim Tully son écrivain à tout faire, chargé des relations publiques.

A cette même époque, Tully entama son deuxième roman “Beggars of life” (Les mendiants de la vie).

“Beggars” fut publié en 1924 et connu un important succès, offrant à Tully l’opportunité de quitter Chaplin afin de se consacrer à l’écriture d’articles, de romans, et d’une série de portraits de stars du cinéma.

“Il avait acquis la réputation d’être “l’homme d’Hollywood que l’on aime le plus haïr,” parce qu’il était l’un des premiers journalistes à couvrir l’actualité d’Hollywood façon « beat »”, explique Monheim de UCLA. “Il se fichait complètement de savoir qui il emmerdait.”

Bauer raconte que le portrait par Tully de l’ancienne icône du cinéma muet John Gilbert était “tellement rude qu’à ce qu’on dit, Gilbert en vomit.” En 1930, Gilbert interpella Tully au Brown Derby.

Dawidziak commente en détail la rixe: “Tully est debout, et il est installé dans sa posture de boxeur. Gilbert s’élance vers lui, et envoie deux coups de poing enragés. Deux coups dans l’eau. Tully, un habitué du pugilat, s’infiltre dans une ouverture et claque un uppercut du droit. L’autre s’écroule sec. Un seul coup a été porté.”

Dès la seconde moitié des années 30, la carrière de Tully déclinait déjà. Il tenta quelques comebacks avec “The bruiser” (La machine à coups, 1936) and “Biddy Brogan’s Boy” (Le gamin de Biddy Brogan, 1942), mais aucun des deux ouvrages ne rencontra le succès de son vivant.

Le 22 Juin 1947, le cœur de Tully lâcha. Il avait 61 ans. Il fut enterré au cimetière de Forest Lawn à Glendale, où il partage une petite colline avec John Gilbert. Dernière ignominie envers Jim Tully, l’homme que Dawidziak appelle “le chaînon manquant entre Jack London et Jack Kerouac” : sa pierre tombale elle-même se trompe de date de naissance.

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Texte original de Chris Greenspon : Jim Tully, père du roman noir, était “l’homme le plus haï d’Hollywood”, publié le 19 novembre 2014 sur Off-Ramp.

Traduit de l’anglais par Victor Barrès.

Jim Tully était « l’homme plus haï d’Hollywood »