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Culture Boxe

Les voyages de Battling Siki

Par    le 15 mars 2013

siki

Né en 1897 à Saint Louis du Sénégal, Amadou Fall dit Battling Siki est fauché par sept balles de revolver à New York en 1925. Entre-temps il a connu Marseille, Toulouse, les Dardanelles, Paris, Londres, Dublin, Anvers et Rotterdam. Itinéraire d’un globe-trotter des rings.

A la fin du 19ème siècle, Saint Louis est une petite ville portuaire de l’empire colonial français. Amadou Mbarrick Fall y naît le 22 septembre 1897, dans une modeste famille de pêcheurs. Enfant, il fréquente l’école coranique et participe aux distractions locales. La plus courante : plonger dans les eaux du fleuve Sénégal, à quelques encablures de l’Océan Atlantique.

Première traversée. En 1906, une jeune hollandaise, Elaine Marie Holtzmann-Gross, danseuse de son état, revient d’une tournée australe en compagnie de Freda Stampe, son amie allemande. Les deux femmes font escale à Saint Louis avant de rallier Marseille.

Pour tromper l’ennui de la traversée, les passagers lancent des pièces à la mer et observent les petits sénégalais plonger derrière le précieux métal. Amadou parvient à repêcher le florin d’Elaine et monte le lui rendre sur le pont du bateau. Un geste qui lui vaut un aller simple pour l’Europe.

A neuf ans, Siki s’embarque pour sa première traversée. Elle nourrira les fantasmes les plus graveleux : une cabine minuscule, deux femmes, un enfant et beaucoup d’imagination…

Quelques semaines plus tard, Siki est seul, dans les rues de Marseille. C’est le temps de la galère : docker, livreur, ouvreur, il se démène pour survivre. Un soir, un client éméché fait du grabuge dans le restaurant où Siki fait la plonge. Intrigué, il passe la tête en salle et le poing de l’ivrogne s’abat sur son visage. La riposte est immédiate : un direct qui envoie le gêneur au tapis. Dans la foulée, l’adolescent de 13 ans enfile ses premiers gants de boxe.

La Grande Guerre. Devenu boxeur de foire, il mène une existence nomade et écume le Sud de la France en roulotte. Premiers combats, premières victoires, premiers revers. À peine le temps de faire son trou qu’il est pris dans le tourbillon de la Grande Guerre. Il s’engage en août 1914 comme volontaire et rejoint les tirailleurs sénégalais.

La guerre est un voyage où Siki se bat avec autant de détermination que sur les rings : sous terre, dans les tranchées, contre les Allemands ; sur l’eau, dans le détroit des Dardanelles, en Asie Mineure, contre les Ottomans.

Tour d’Europe. En 1919, auréolé de la croix de guerre et de celle du mérite, l’adjuvant Siki remonte sur le ring. Les victoires s’enchaînent mais la bougeotte le reprend. Les champions gaulois refusent de l’affronter en raison de sa couleur de peau ? Qu’à cela ne tienne, il part pour Anvers où il bat le champion de Belgique, puis pour Rotterdam où il détruit le champion de Hollande. Après avoir quitté le Sénégal dans les valises d’une danseuse hollandaise, il les pose dans la pension du père de sa nouvelle épouse, Lintje Van Appelteere.

Son retour à Paris, en 1922, ne passe pas inaperçu. Non content de filer le parfait amour avec une femme blanche, il défie Georges Carpentier, idole de la France des années 20 et héraut de la boxe scientifique. En vain d’abord, car le Grand Georges a tendance à esquiver ses challengers de couleur. Après que Siki a rossé tous les numéros 2 de l’hexagone, il lui faut pourtant relever le défi.

Le match a lieu le 24 septembre 1922 au stade de Buffalo, Montrouge. L’enceinte est pleine à craquer et Carpentier donné archi favori. Les spectateurs se réjouissent de voir l’artiste blanc fermer – enfin – le clapet du « Championzé ». Le combat doit être une simple formalité. Les managers se sont « arrangés » pour que Siki se couche après quelques rounds de spectacle. Comme prévu, les premières reprises sont à l’avantage du favori qui envoie plusieurs fois son rival au tapis quand, soudain, tout bascule. A la fin de la troisième, un swing de Siki jette l’idole nationale à terre. La suite n’est qu’un long calvaire pour Georges Carpentier, finalement K-O en six rounds.

A la surprise générale, Battling Siki devient le premier champion du monde africain de l’histoire. La pilule a du mal à passer. La presse hexagonale se livre à un véritable lynchage médiatique et l’accuse tour à tour d’alcoolisme, de toxicomanie, de pédophilie et d’atteinte à l’ordre public. Attaqué de toutes parts, suspendu pour « comportement extravagant », le champion déchu trouve alors refuge en Hollande où la reine en personne lui dédie un jour férié. Cela dit, quand il récupère sa licence, un an plus tard, les adversaires potentiels ne se bousculent pas au portillon.

Une solution, partir. En cinq mois, Siki prend deux fois la mer. Sa première traversée est homérique. Après une nuit d’ivresse dans un bar de la rue du Faubourg du Temple où il lève le coude en compagnie de son manager, il ouvre les yeux à bord d’un cargo qui vogue vers l’Irlande, alors en pleine guerre civile. Mal préparé, défavorisé par les juges, il est battu par le champion local, Mc Tigue.

Battling_Siki_in_Ireland_with_Eugene_Stuber

L’Amérique. Siki est de la race des grands voyageurs, capable de tout abandonner sur un coup de tête. En août 1923, il se fend d’une lettre d’adieu à son épouse et embarque pour les Etats-Unis. Ici ou là-bas, Battling reste fidèle à sa ligne de conduite : il ne courbe l’échine devant rien ni personne. La ségrégation ? Il la foule aux pieds et se remarie avec Lilian Warner, fille d’aubergiste, blanche évidemment. La moindre remarque raciste est immédiatement sanctionnée d’une distribution de mornifles. Les gangs ? Il leur tient tête et remporte les combats qu’on lui « conseille » de perdre.

On ne défie pas les préjugés d’une époque sans s’exposer à un terrible retour de bâton. Dans la nuit du 15 au 16 décembre 1925, Siki est fauché par sept balles de revolver. Meurtre raciste ou règlement de comptes mafieux ? Peu importe, le champion est tombé tête haute sans renier la liberté qu’il avait imposée à tous, partout.

NZ

Article publié dans le fanzine Phénomènes – Culture Globetrotting Engagement – que vous pouvez vous procurer sur le site d’Actisphère. La page Facebook de l’association vaut également son pesant de cacahuètes.

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