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Culture Boxe

Haye/Ruiz dans un pub de Londres

Par    le 4 avril 2010

Haye gagne avec style mais…

Le britannique de 29 ans a conservé sa couronne mondiale WBA des poids lourds, en stoppant John Ruiz à la neuvième reprise. Qu’en pensent les frères Klitschko ?

A vingt heures à Londres, à l’heure où les bookies refermaient leurs calepins, l’affaire était entendue. David Haye, 29 ans et tenant de  la version WBA du titre de champion du monde des lourds était archi-favori avec une cote à 1 contre 8 : il fallait miser huit sterlings sur la victoire de Haye pour espérer voir un malheureux pound de bénéfice. D’ailleurs, l’événement sportif du weekend, s’il avait lieu à Manchester tout comme ce championnat du monde face au vétéran américain John Ruiz, était déjà derrière nous : Chelsea avait battu Manchester United sur sa pelouse 2 à 1, et les Blues repassaient devant les Mancuniens en tête de la Premier League.

Dans un pub de Londres au chic en toc qui n’aurait pas déplu à Haye réputé frimeur et flambeur, la soirée boxe commençait doucement. Mais les Anglais aiment le sport, la boxe, la bière et les pubs. Et Haye est un gosse de Bermondsey, un quartier sud de Londres. Alors, durant les combats préliminaires, le pub « Jam » se remplissait doucement.

Bientôt, la salle était pleine à rompre. Le patron du bar coupait la musique techno assourdissante pour remettre le son de la retransmission live  pleine de larsen. Quelques sifflets ponctuaient l’entrée en scène de John Ruiz, 38 ans, boxeur limité. Le fait qu’il disputait là son onzième championnat du monde en dit long sur le triste état de la catégorie reine. Ayant fait patienter son adversaire cinq bonnes minutes, David Haye se dirigeait des vestiaires vers le ring au son de ain’t no stopping us now. Un classique. Larry Holmes l’utilisait déjà au début des années 80.

Le premier championnat du monde des lourds se déroulant au Royaume Uni depuis dix ans commençait, et plutôt bien. Le plus beau coup du match était virtuellement le premier. D’une droite toute longiligne, Haye perçait la garde de son adversaire après moins d’une minute de combat, et Ruiz était au sol. Il se relevait pour subir la charge de l’anglais sentant sa chance d’une victoire spectaculaire en un round. Haye réussissait bien un second knockdown dans le premier round, mais grâce à un coup derrière la nuque lui valant un point de pénalité.  Ruiz survivait à la première reprise et le combat allait ensuite ne plus changer de forme : à la fois excitant par son rythme et ses échanges musclés et sans surprise ni maestria.

David Haye contrôlait la plupart des échanges, mais sa droite d’école du premier round avait dû lui échapper et il retombait dans ses travers : des attaques par de larges swings sauvages plutôt que du travail d’orfèvre. Cela suffisait au bonheur des fans dans la salle, mais les nanas s’ennuyaient et préféraient aller fumer des clopes sur le pavé.

La vraie surprise du combat, c’était Ruiz. Il traîne  la fâcheuse réputation de s’agripper sans cesse à ses adversaires, il ne le fit une seule fois ce soir. Il ne cessait de marcher vers Haye derrière un jab compact et trouvait la marque plusieurs fois, remportant un round ou deux et faisant fléchir Haye dès que ce dernier s’oubliait un peu et laissait la porte ouverte au milieu de ses attaques brouillonnes.

Tout n’était pas désordre et Haye restait clairement le général du ring, usant d’une vitesse nettement supérieure. Ruiz accusait vite coupures aux arcades et au nez, et retrouvait le tapis lors des cinquième et sixième reprises. C’était du reste de nouveau à cause de coups du lapin, signe que Haye bazardait plus qu’il ne boxait, mais cette fois l’arbitre ne s’en émouvait pas.

L’accumulation de la punition encaissée finissait par peser et à partir de la septième reprise, Ruiz ne semblait plus en mesure de surprendre Haye sur l’une de ses erreurs. D’ailleurs, son entraineur l’avertissait entre le septième et huitième round qu’il pourrait bien stopper le combat si Ruiz continuait de perdre pied. Le coin de Ruiz attendait finalement la neuvième reprise pour jeter l’éponge pour un point final un rien euphémique.

Haye conserve son titre et il sut prendre des risques pour gagner devant les 20.000 spectateurs du MEN Arena de Manchester : il fonça sur chaque ouverture, quitte à s’exposer. En cela, il tint sa promesse de rendre la division phare de la boxe un peu plus excitante.

Les frères Klitschko, qui détiennent à eux deux les trois autres principales couronnes des poids lourds n’ont même pas fait le déplacement pour voir leur probable futur adversaire. Ils dormiront sur leurs deux oreilles en voyant la vidéo du combat. Ce n’est sans doute pas Haye qui menacera leur hégémonie et les fera abandonner leur style pénible. Et comment les blâmer ? Pour battre Haye, rien de mieux que de boxer avec le pied sur la pédale de frein, profiter de l’allonge supérieure qu’ont les deux ukrainiens pour défendre par simple retrait du buste et travailler mécaniquement de leur jab et d’une occasionnelle droite.

En attendant, les fans savouraient la victoire du Londonien sans penser plus loin. Le tenancier, malin comme un singe, remettait la musique à fond. On avait chanté, on dansait maintenant. Get down Saturday night…

jeremiekorenfeld@gmail.com

Haye/Ruiz dans un pub de Londres