Tout plutôt qu’un vrai boulot — Tex Cobb (42-7-1)

Culture Boxe

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En boxe, les journalistes ont déjà usé jusqu’à la moelle l’expression « combat du siècle ». Permettez-nous alors de choisir « combat du millénaire » pour désigner la rencontre entre Manny Pacquiao et Floyd Mayweather. On l’attendait depuis 2009 et l’échec de la première négociation. Les deux poids welters ont finalement choisi un terrain neutre, Cardiff, pour croiser les gants et ont convenu de contrôles anti-dopages inopinés jusqu’à la veille du combat. Le samedi 25 janvier 2014, l’affrontement a eu lieu et, au-delà du résultat, cette apogée pugilistique a tenu ses promesses.

(Premier épisode : Pacquiao vs. Mayweather – ep. 1 : that’s boxing!)

Reportage de notre envoyé spécial à Cardiff, Jim Caraghi (traduit de l’anglais par Félix Barrès).

Jour J. pour Manny, pour Floyd et pour les millions de fans de boxe dont je fais partie. Dans le hall de l’hôtel Shedam, le pool des journalistes accrédités ressemblait à l’état-major d’un pays en guerre. Honnêtement, je n’avais jamais vu ça, autant de stress concentré dans quelques mètres carrés. J’ai failli me prendre une beigne en voulant checker un collègue au téléphone avec son boss. Évidemment, moi, gratte-papier, je me la jouais cool. De toute façon, je n’avais pas réussi à obtenir d’interviews le jour du combat et on ne me laisserait pas foutre les pieds dans les vestiaires ou approcher les boxeurs. Mon boulot c’était de « prendre la température », « capter la couleur »…  Je plaignais les gars de la télé, plantés déjà devant l’hôtel à raconter des conneries aux chaînes d’infos continues : « En ce moment, Manny Pacquiao doit répéter une dernière fois ses gammes sur le ring avec son coach… blablabla », et ça allait durer toute la journée.

À 18h, j’étais dans le stade, le Millenium. Les gradins affichaient complet, notamment grâce à la grosse communauté philippine de Londres. Même au bord de l’arène, les places VIP étaient rarement vides : personne ne voulait rater une miette du grand soir, quitte à se taper les amuses-bouches traditionnellement amers des « undercards ». La foule a eu son premier frisson lorsque Sylvester Stallone et « Iron » Mike ont fait semblant d’échanger des crochets sur le ring. Tyson a joué le mec touché et les milliers de spectateurs ont hurlé « Rocky, Rocky, Rocky ». Magique.

À 21h, les lumières du stade se sont éteintes. Silence.

Rond de lumière sur la sortie du tunnel et rumeurs dans les tribunes. Le « God save the queen » résonna, puissant, dans les hauts-parleurs et « The Queen », justement, Elisabeth II apparut accompagnée de Barack Obama et de Benigno Aquino, président des Philippines. Le bon vieux protocole étatique avant celui, encore plus minutieux, des boxeurs. C’était une des clauses du contrat : pas question que Floyd débarque en premier sur le ring. C’était lui le favori, le showman, le patron et Manny devait sagement l’attendre dans les cordes. Du coup, une fois les officiels calés sur leurs chaises, le drapeau philippin s’est dessiné, en hologramme, au centre du quadrilatère. Nouveau coup de projecteur sur une sublime créature sortie de nulle part, debout sur un podium : Sarah Geronimo, moulée dans un costume blanc et or, était venu chanter pour Manny, son compatriote. C’est bercée par l’hymne philippin que la foule a vu rentrer Pacquiao. Comment un petit bonhomme, capuche sur la tête, sautillant comme un gosse, peut faire crier si fort tout un stade ? Le délire. Précédé par Freddy Roach, son coach, bandeau japonais autour du crâne, le mythe de la boxe version deuxième millénaire s’approcha tranquillement de sa maison, le ring. Il souriait, comme inconscient de l’enjeu. Un dernier bond entre les cordes puis un gant levé vers son public qui déclencha un nouveau tonnerre de hurlements. Enfin, Pacman s’agenouilla dans son coin pour implorer Dieu, retrouvé après tant d’années d’errances. Debout, à quelques mètres de lui, sa femme Jinkee semblait inquiète, des larmes le long des joues.

Noir à nouveau, silence total. Des sifflets commençaient déjà à percer : le « bad boy » allait faire son apparition. « What’s up, motherfuckkkkerrrrr !! » C’était le « bonjour ! » de Lil Wayne qui, avec sa voix éraillée du mec qui imite le mec défoncé, introduisait son champion. On a donc d’abord vu la tête et les dreadlocks du rappeur, bouche collée au micro, récitant un texte incompréhensible sur un beat désarticulé. Puis il est sorti de l’ombre, l’homme qui valait trois milliards, l’insupportable prodige du noble art. Les épaules balançant de droite à gauche, Floyd Mayweather, mâchait son éternel chewing-gum, casquette sur la tête. À part la carrure, rien à voir avec son adversaire. Floyd marchait lentement, le visage fermé et les yeux fixés sur son objectif. Pas une seule fois il ne jeta un regard à celui qui lui tenait maladroitement la poche du short, comme un enfant qui a peur de se perdre : l’improbable Justin Bieber. Lui aussi mâchait son chewing-gum et tentait d’avoir l’air féroce mais il était tout juste aussi impressionnant qu’un minot qui vole le jouet de sa petite sœur. Absurde. Pourquoi Floyd s’obstine-t-il à coller Justin dans ses pattes ? Si c’est pour déclencher les huées du public et se mettre, un peu plus, les spectateurs à dos, la mécanique est d’une efficacité redoutable.

À 21h30, on y était mais on n’osait pas y croire : Floyd et Manny debout sur le même ring ! Putain mais c’est comme si Superman et Batman faisaient un bras de fer ! On s’en foutait des palmarès que Michael Buffer récitait dans son micro, on voulait entendre le cuir des gants sur la gueule des deux héros, on voulait du sang, on était devenus des bêtes assoiffés de violence. Et la cloche a sonné. (à suivre…)

Pacquiao vs. Mayweather – ep. 2 : l’entrée des artistes