Tout plutôt qu’un vrai boulot — Tex Cobb (42-7-1)

Culture Boxe

Il y a tout juste 40 ans, le 7 décembre 1970, toute l’Argentine était devant son téléviseur pour voir le poids lourd maison, Oscar Ringo Bonavena, défier un Muhammad Ali en pleine reconquête, au Madison Square Garden de New York.

Contraint à l’inactivité entre 1967 et 1970 pour avoir refusé d’aller combattre au Vietnam, Ali vient de faire son retour en obtenant une victoire expéditive, le 26 octobre 1970, face à Jerry Quarry. Son objectif : défier le champion des Lourds, Joe Frazier, et récupérer ses titres. Pour y parvenir, il a besoin d’un autre combat de préparation.

Oscar Bonavena (40-6-1 au moment d’affronter Ali) est l’adversaire idoine : deux fois défait par Joe Frazier, il doit offrir juste assez de résistance pour tester Ali et le préparer pour de plus grandes échéances.

La Team Ali a sans doute sous-estimé Bonavena. Ringo n’est pas un esthète, certes, mais c’est un type complètement imprévisible.

1963, premier scandale aux Jeux Panaméricains de San Jose. Ringo est disqualifié pour avoir mordu le téton de l’Américain Lee Carr. Suspendu par sa propre fédération, il quitte l’Argentine pour passer professionnel aux États-Unis.

De retour au pays après une première défaite face à Zora Folley et la levée de sa suspension, il enchaîne les combats en pourrissant systématiquement ses adversaires dans la presse. Stratégie efficace : en cinq mois, il remporte six combats et obtient une chance contre le meilleur lourd du pays, Gregorio Peralta. Las, Ringo l’envoie au tapis à la cinquième reprise et l’emporte facilement aux points.

Champion d’Argentine, il est définitivement adopté par ses compatriotes et sa grande gueule fait désormais partie du paysage.

Même Ali, prince du trash talking, n’échappe pas à ses excentricités. Les jours précédant le combat, Ringo arpente la 5e avenue accompagné d’un taureau. Puis, en conférence de presse, traite Ali de poulet, chorégraphie à l’appui.

Le jour du combat, toute l’Argentine est paralysée et les compatriotes de Ringo oscillent entre appréhension et fol espoir. Depuis 1923 et Firpo-Dempsey (voir La tradition fertile de la boxe argentine), aucun évènement sportif n’a suscité tant d’attentes. Il faudra attendre le mondial 1982 et la demi finale Italie-Argentine pour dépasser les 79.3 points d’audience du 7 décembre 1970.

Sur le ring, l’Argentin, donné largement perdant, surprend son monde. Au 9e, il coince Ali dans les cordes et travaille violemment au corps et à la tête. L’Américain résiste mais perd l’équilibre avant la fin du round. L’arbitre n’y voit qu’une glissade.

Au 15e et dernier round, Bonavena désobéit à ses entraîneurs et se jette imprudemment sur Ali à la recherche du KO. Une première fois Ali l’envoie au tapis d’un crochet au menton. L’arbitre compte l’Argentin mais oublie de renvoyer Ali dans son coin. A peine relevé, Ringo voit l’Américain se jetter sur lui pour scorer un nouveau KO. Nouvelle entorse aux règles du noble art : l’arbitre ne renvoie toujours pas Ali dans son coin et omet de compter l’Argentin, debout sur des jambes spaghetti. Même causes, même effets : Ali place un troisième KO qui arrête automatiquement le combat.

Sur le chemin du vestiaire, Ringo lâche un mythique : « Diganme, yo guapié, no ? ». Guapear ?  Envoyer du lourd, avoir du cran…

Ringo Bonavena a peut-être perdu le combat de sa vie mais la glorieuse défaite en a fait une idole nationale.

Défait deux ans plus tard par Floyd Patterson, la fin de sa carrière est anecdotique. Hors des rings, en revanche, Ringo continue à faire le spectacle. Boxeur mais aussi chanteur, acteur ou gérant de bar, il est surtout resté un muchacho de Parque Patricios, le quartier où il a grandi à Buenos Aires. Il assiste aux matchs de son équipe préféré, Huracan, ne perd pas une occasion de vanter les talents culinaires de Doña Dominga, sa chère mamma, ou de saluer les pibes du quartier à chacune de ses interventions publiques.

Le 22 mai 1976, aux Etats-Unis, il est assassiné de plusieurs coups de carabine en sortant d’un bordel du Nevada. Aux charmes des pensionnaires de l’endroit, il préférait ceux de la femme du proprio, Joe Conforte, mafioso notoire et ancien promoteur de boxe.

« Diganme, yo guapié, no ? »

NZ

Ringo Bonavena, la grande gueule de Parque Patricios