Tout plutôt qu’un vrai boulot — Tex Cobb (42-7-1)

Culture Boxe

Le pugiliste des Thermes, Palais Massimo, Rome, IVe siècle avt. J.-C

L’expo Défis et Sports, de l’Antiquité à la Renaissance, qui se tient en ce moment à l’Hôtel départemental des expositions du Var, explore un peu plus de deux millénaires de pratiques et de spectacles sportifs. La boxe y tient sa place avec panache. Une bonne raison de passer Henri Simonneau (l’un des auteurs du catalogue, docteur en histoire médiévale et professeur en classes préparatoires à Albi) à la question.

CultureBoxe : Tu peux nous présenter l’expo en quelques mots ?

Henri Simoneau : Il y a eu jusqu’à maintenant assez peu d’expositions consacrées au sport dans les périodes les plus anciennes. Souvent elles ne concernent que le sport moderne tel qu’il se développe au XIXe siècle, ou éventuellement l’olympisme, mais toujours en comparaison avec les pratiques d’aujourd’hui. Or, la pratique sportive est ancienne, il suffit de rappeler que Jeux Olympiques antiques se sont tenus dès le VIIIe siècle avant notre ère jusqu’à la fin du IVe siècle de notre ère ! La particularité de cette exposition est qu’elle met en lumière une des particularités de l’activité sportive antique et médiévale : le sport, même si le terme n’existe pas à l’époque, est moins à considérer comme un loisir que comme une pratique qui s’insère dans une culture du défi. C’est le cas des cités grecques dans l’Antiquité ou mais aussi des chevaliers au Moyen Âge et à la Renaissance. Le sport n’est pas un jeu, c’est une compétition, qui revêt une dimension sociale mais également politique. Cette exposition permet aussi de comprendre que la place de la compétition est différente selon les sociétés. Dans la Grèce antique, c’est une façon de souder les différentes cités autour d’une culture commune. Les concours gymniques sont d’ailleurs souvent accompagnés de concours de chants ou de poésies. Les sportifs sont les représentants des cités et célébrés comme des héros. À Rome, le sport, que ce soient les courses hippiques ou les pugilats, est avant tout un spectacle. Les participants sont cette fois de condition servile. Au Moyen Âge, la joute revêt également une dimension culturelle et diplomatique importante. C’est cet éclairage nouveau que l’exposition « Défis et sports de l’Antiquité à la Renaissance » souhaite mettre en avant. Les commissaires de l’exposition ont rassemblé à la fois des œuvres d’art qui mettent en scène le sport, des bas-reliefs antiques, des miniatures médiévales, des imprimés de la Renaissance, mais également des objets de la pratique, comme des strigiles romains qui servaient à se retirer la sueur des athlètes ou de magnifiques armes et armures du Moyen Âge utilisées lors des joutes.

J’ai l’impression que la boxe est bien représentée, pas vrai ?

La boxe est sans doute un des plus anciens sports attestés, dès le IIIe millénaire dans des sources égyptiennes ou sumériennes. Nous avons conservé des représentations picturales d’affrontements à poings nus dans un cadre d’un concours. L’archéologie aussi l’atteste. La palestre, le « terrain d’entraînement » est organisé autour du terrain de pancrace, sport associant boxe et lutte. Mais là encore les pratiques diffèrent selon les sociétés. Chez les Étrusques, dans la péninsule italienne autour du VIIe-IVe siècle avant J.-C., on sait que la boxe se pratiquait en musique, avec l’accompagnement de musiciens situés autour de l’arène. Au Moyen Âge, la pratique semble être beaucoup moins courante, mais il ne faut pas oublier qu’une joute se finit souvent à pieds, voire aux poings, quand les chevaliers ont été désarçonnés.

Est-ce qu’on peut faire d’Homère le premier journaliste sportif ? 

On peut difficilement qualifier Homère de « journaliste sportif », d’une part parce que son identité même est l’objet de débat, mais également parce que L’Iliade ne se veut pas un récit historique comme on pourra en trouver en Grèce dans les siècles suivants sous la plume d’historiens. En revanche, il est vrai que le combat d’Épéios et d’Euryale dans le chant XXII de L’Iliade pourrait sans nul doute être considéré comme la première description réaliste d’un combat de boxe : « Face à face, levant leurs bras vigoureux, ils se jettent l’un sur l’autre et mêlent leurs lourdes mains. Leurs mâchoires craquent horriblement, la sueur ruisselle partout sur leurs membres. » Ce qui ne fait que renforcer la thèse selon laquelle la boxe est une pratique ancienne. On a également conservé des représentations des gants de boxe de la période romaine, les « cestes », notamment dans les mosaïques d’Aix-en-Provence. À cet égard, la statue en bronze du pugiliste du Quirinal, présente dans l’exposition, est une des œuvres d’arts antiques les plus émouvantes, représentant un combattant, sans doute à l’issue de l’affrontement, ruisselant de sueur et blessé au visage.

Fresque des boxeurs, à Akrotiri (Grèce), XVIe siècle avant notre ère.

En boxe, il y a beaucoup de combats qui ont littéralement débordé des cordes du ring comme Joe Louis-Max Schmeling ou Mohamed Ali-George Foreman. Je crois que tu as pas mal réfléchi aux rapports entre sport et diplomatie au Moyen-Âge. Tu peux nous en dire deux mots ?

Quand on aborde cette question de l’articulation entre le sport et la diplomatie au Moyen Âge, il faut réfléchir différemment. Aujourd’hui, il existe une diplomatie du sport, visible dans les grands événements sportifs, et oui, certains événements revêtent une dimension géopolitique ou symbolique importante. C’est certain. Mais au Moyen Âge, on ne conçoit pas de sommet diplomatique sans l’organisation en parallèle de joutes. C’est le cas par exemple en 1435 à Arras. Alors que l’objectif est la résolution de la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons dans le contexte de la guerre de Cent Ans, les princes viennent accompagnés de chevaliers et s’affrontent durant des joutes qui connaissent une médiatisation tout à fait considérable. S’affronter sur les lices, c’est se reconnaître comme un égal, et donc comme un interlocuteur. Il ne s’agit pas d’humilier son adversaire, il s’agit de montrer son honneur par la pratique des armes dite « courtoises », c’est-à-dire sans intention de tuer. Or, l’honneur est une valeur essentielle de l’aristocratie médiévale.

On reste au Moyen-Âge : à travers quels sports et comment le fighting spirit s’exprimait à cette époque ? Quid du « combat de boxe » entre le roi de France et celui d’Angleterre ?

Au Moyen Âge, la joute est le sport par excellence de la noblesse, même si on pratique beaucoup d’autres sports comme le tir ou les jeux de balle dans les catégories sociales plus modestes. À la fin du Moyen Âge, c’est même une forme particulière de la joute qui s’impose : le pas d’armes. L’exposition présente de nombreux manuscrits d’époque qui les décrivent. C’est une forme particulière de joute qui s’entoure de tout une atmosphère inspirée de la littérature courtoise ou antique. Un chevalier défie n’importe quel autre combattant de venir le confronter durant une période donnée. Souvent, ces pas d’armes sont mis en scène autour de thèmes issus de la littérature chevaleresque. Mais plus exceptionnellement, on peut en venir aux poings, y compris entre souverains. L’exemple le plus célèbre est celui du Camp du Drap d’Or, en 1520, sommet diplomatique entre François Ier, roi de France, et Henri VIII, roi d’Angleterre. Suite à un défi du roi d’Angleterre, les deux hommes en seraient venus aux mains, dans un combat sans doute plus proche de la lutte que de la boxe. L’épisode est révélateur de la place que prend à la Renaissance la compétition physique, y compris entre des hommes d’un tel rang. Finalement, que ce soit dans l’Antiquité ou à la Renaissance, le sport est avant tout une pratique sociale inscrite dans la culture de la compétition, de la rivalité, mais aussi de l’honneur. Ce qui n’est peut-être pas si éloigné des grandes compétitions du sport moderne.

Propos recueillis par NZ

Retrouvez toutes les infos sur l’exposition « Défis et Sports, de l’Antiquité à la Renaissance » sur le site de la ville de Draguignan.

À L’ANCIENNE : on a papoté de l’expo « Défis & Sports, de l’Antiquité à la Renaissance » avec l’historien Henri Simonneau