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Culture Boxe

Histoire populaire du sport aux Etats-Unis Dave Zirin

Il y a un peu plus d’un an, j’avais écrit un compte-rendu de lecture du livre de Dave Zirin, Histoire populaire du sport aux Etats-Unis pour le magazine Le Vif. J’y ajoute ici quelques notes supplémentaires sur la boxe. Pour Dave Zirin, le sport est un terrain de jeu privilégié du politique, parfois moteur du progrès social, parfois obstacle, mais toujours révélateur de l’état de la société américaine.

Fin août 2016, le joueur de football américain Colin Kaepernick pose un genou à terre pendant l’hymne national pour protester contre les violences policières racistes. Ce geste suscite immédiatement de virulentes critiques dont celles de Donald Trump. Que n’entend-on pas alors ? Que le sport est un sanctuaire apolitique. Que les sportifs n’ont pas voix au chapitre. Dave Zirin et son Histoire populaire du sport aux États-Unis s’inscrivent en faux.

La lutte pour les droits civiques traverse le livre comme un passionnant fil rouge, avec son lot de figures imposées comme Jackie Robinson, Arthur Ashe ou Muhammad Ali, mais aussi ce bataillon d’inconnus sacrifiés sur l’autel du mur de couleur, athlètes hors pair qui ont fait les beaux jours des ligues noires pendant la première moitié du vingtième siècle, et à qui l’auteur redonne ses lettres de noblesse.

C’est que le sport est le miroir dans lequel s’observe la société américaine, avec parfois un racisme à fleur de peau. Le mur de couleur s’est ainsi déployé dans les stades en parallèle de l’exclusion des Noirs de toutes les sphères de la vie publique. Après le tribut payé par les Afro-Américains à l’effort de guerre, c’est un vétéran, Jackie Robinson, qui fait tomber la citadelle en 1947. « S’il est assez bon pour la marine, il est assez bon pour les ligues majeures », répétait-on en ce temps-là. « Un pèlerin parcourant seul les chemins de traverse qui mènent à la grande route de la liberté », dixit Martin Luther King.

Dans les années 60, Muhammad Ali reprend le flambeau, symbolisant la radicalisation d’une partie du mouvement des droits civiques, le « Black Power » et l’opposition à la Guerre du Vietnam. Ali est beau, audacieux et il n’a pas sa langue dans sa poche. Sans compter son titre de champion poids lourds de boxe, le sport qui symbolise le mieux la lutte des Afro-Américains pour sortir de l’invisibilité. En somme, Ali est au cœur de tous les conflits de son époque.

On suit également l’émergence du journalisme sportif – il faut bien raconter les héros -, les tentatives houleuses de syndicalisation des joueurs, ainsi que les soubresauts du mouvement de libération des femmes et de la lutte contre l’homophobie. Là encore, c’est une question de symbole. Le 20 septembre 1973, près de cinquante ans après l’émergence de la garçonne, sportive aux cheveux courts, Billie Jean King remporte « la guerre des sexes » en trois sets secs devant Bobby Riggs, prouvant à ceux qui en doutent encore, et ils sont nombreux, que les femmes sont capables de tenir le choc sous la pression.

Pour Zirin, les sportifs sont des héros qui s’expriment sur et dehors du terrain. Mais l’auteur peut aussi avoir la dent dure. Michael Jordan n’y échappe pas, coupable d’avoir été l’athlète ayant détenu le plus de pouvoir dans les années 1990 et qui en a fait le moins usage, se contentant d’accumuler les titres et de vendre des chaussures. Après tout, Jordan reflète peut-être notre époque, comme Ali et sa conscience sociale ont reflété la leur. Une époque d’apathie politique et de superficialité culturelle. Sauf qu’avec Zirin, une lueur d’espoir brille toujours au fond du tunnel, à condition de se retrousser les manches : « le sport est ce qu’on en fait ».

Quelques notes et citations en vrac sur la boxe.

La boxe bouleverse la perception des Noirs. Au début du vingtième siècle, ceux-ci sont vus comme des êtres paresseux et indisciplinés. Ce sont les victoires de Jack Johnson, premier noir champion du monde des lourds, qui font tomber le mythe de la supériorité de l’homme blanc. Et la boxe de devenir, au fil du siècle, le symbole de la lutte des Afro-Américains qui combattent pour sortir de l’invisibilité.

A propos de Joe Louis :

Joe Louis a conservé le titre de champion du monde des poids lourds pendant douze ans, le plus long règne de l’histoire. Il a vaincu tous les nouveaux venus, pour la plupart blancs, et défendu son titre à vingt-cinq reprises – un record toujours inégalé. Dans une société aussi raciste, la boxe servait de plateforme à la frustration des gens – une sorte de théâtre sur les obstacles, le manque de reconnaissance et l’esprit combattant infatigable qui définissaient l’expérience noire à cette époque aux Etats-Unis.

Une anecdote rapportée par Martin Luther King dans son livre Why We Can’t Wait :

Il y a plus de vingt-cinq ans, un Etat du Sud a adopté une nouvelle méthode pour la peine de mort. La chambre à gaz a remplacé la corde. Les premiers temps, on installait un microphone dans la salle de la mort afin que les scientifiques puissent écouter les dernières paroles du condamné pour comprendre comment la victime réagissait à cette façon de faire. La première victime de cette méthode était un Nègre. Lorsque le comprimé a été lancé dans la salle et que le gaz s’en est échappé, le microphone a transmis ces mots : « Sauve-moi, Joe Louis. Sauve-moi, Joe Louis. Sauve-moi, Joe Louis.

Muhammad Ali, quant à lui, est devenu le symbole de la radicalisation d’une partie du mouvement des droits civiques. Il incarne à la fois le « black power » et le refus d’avoir peur. Son refus de rejoindre les rangs de l’Armée et de combattre au Vietnam change la donne pour le mouvement pacifiste, car personne ne pouvait accuser Ali d’être un lâche.

Dans une déclaration peu de temps après, il confirmait sa position :

Je suis fier de mon titre de champion du monde des poids lourds. […] Le détenteur de ce titre devrait toujours avoir le courage de suivre ses convictions jusqu’au bout, non seulement sur le ring mais dans toutes les sphères de sa vie.

A l’époque le militant Stokely Carmichael a dit :

Muhammad Ali avait tout pour lui. La célébrité, la gloire, l’argent, les femmes, l’apparence, le titre de champion du monde. […] Et de tous ceux qui s’opposaient à la Guerre du Vietnam, c’était Ali qui courait le plus grand risque. Beaucoup d’entre nous ont refusé d’aller à la guerre. Certains sont allés en prison. Mais personne n’avait autant à perdre en refusant de combattre au Vietnam que Muhammad Ali.

L’acteur Richard Harris :

Tous les boxeurs du monde vendraient leur âme pour obtenir le titre de champion du monde des poids lourds. Ali a retrouvé la sienne en s’en départissant.

NZ

Avec son Histoire Populaire du Sport aux Etats-Unis, Dave Zirin donne un coup de poing dans la fourmillère