Tout plutôt qu’un vrai boulot — Tex Cobb (42-7-1)

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Au printemps 2017, j’avais pris la parole dans une médiathèque d’Argenteuil pour présenter mon premier livre, Beauté du geste. C’était un samedi ensoleillé et, malgré les appels désespérés du speaker, l’assistance se comptait sur les doigts d’une main. Ange Künzli y était. Six ans plus tard, LinkedIn nous a « reconnectés ». Ça valait bien une interview.

On s’est rencontrés il y a six ans dans une médiathèque d’Argenteuil. A l’époque tu venais de devenir champion de France de savate. Qu’est-ce qui s’est passé entre-temps ?

Oui, j’avais gagné par KO. Après les France, je devais faire les Europe, mais un autre combattant a pris ma place sur décision de la fédération. Pour l’anecdote, je le rencontre la semaine prochaine en Savate Pro, une discipline proche du kick-boxing. Après cette histoire, je me suis détaché de plus en plus de la savate, de la boxe française pure, pour passer sur le kick-boxing et le K1. Je l’ai vécu comme une injustice, ça me prenait la tête.

Je suis passé pro en kick-boxing et en K1 un ou deux ans avant le Covid. J’ai fait plein de galas. En tant que pro, tu boxes devant beaucoup plus de monde : on sait qu’il va y avoir des oppositions agréables à regarder, des KO et du sang. L’année dernière, j’ai participé à un tournoi S1 en savate pro que j’ai gagné. Ils m’ont rappelé pour défendre le titre la semaine prochaine contre le mec que j’avais battu juste avant notre rencontre à Argenteuil. Et en novembre dernier, j’ai pris une ceinture mondiale en K1 dans une fédération italienne.

A l’époque, je me souviens que ton entraîneur m’avait raconté l’entrée de ton adversaire sur le ring avec tous ses supporters, en mode grosse star, alors que toi t’étais arrivé en petit comité. Puis t’avais placé un KO et le type s’était retrouvé tout seul face à la défaite…

J’ai souvent été le mec qui sort un peu de nulle part, qui arrive sans famille, sans amis, sans public, sans bassine. J’aime beaucoup cette position de challenger. Personne t’attend.

Je suis pas passé par les canaux habituels. La plupart de mes adversaires sont dans la boxe depuis leur plus tendre enfance, tout le monde les connaît depuis des années. Et moi, j’arrive de nulle part, j’ai fait mes premiers combats à 18 ans et je leur mets des grandes pommes de terre. Certains l’ont en travers de la gorge.

Il y a des défaites qui t’ont marqué ?

Il y en a pas eu beaucoup où je me suis fait dominer. C’est surtout des vols manifestes ou du comptage aux points très serré.

Mais il y a eu une vraie défaite, la seule fois où je me suis fait compter. C’est 100% de ma faute. J’avais rencontré le mec l’année d’avant en gala. Ça avait un peu chauffé parce que son entourage essayait de me mettre la pression du genre « il va te fumer, t’es bof bof ». Le jour du combat, j’étais très agressif. Et sur le ring, tout s’est bien passé. Gros crochet, il tombe KO. Le Samu a dû intervenir. Quand je l’ai affronté de nouveau un an après, je l’ai vraiment pris par-dessus la jambe. Je suis monté en me disant « pff c’est comme un sparring, je vais l’atomiser », mais il s’était vraiment bien préparé. Il m’a sonné sur un crochet. Comme dans les films : tu fermes les yeux et tu te retrouves par terre. Je me suis relevé et j’ai terminé le combat. J’ai pas eu la tête qui tourne ou les jambes qui flagellent mais j’étais en retard au comptage et il a continué à bien travailler. Une vraie défaite. Rien à dire.

Comment est-ce que tu combines K1 et Savate ? C’est complémentaire ? Tu te prépares de la même façon ?

Je travaille le plus dur, le K1, avec des temps plus longs (5×3 minutes) et les coups de genoux autorisés. Faut pas rigoler avec ça. En plus, c’est la discipline que j’ai la moins pratiqué. Comme ça, j’acquiers un nouveau style qui peut être complémentaire, sans oublier ma base : la savate et le kick.

Dans pas longtemps t’enchaînes un combat de savate pro et un autre de K1 en l’espace d’une semaine. Comment tu te prépares pour ça ?

Comme je me suis bien entraîné, j’aurais plus qu’à rester sur ma lancée en essayant de pas me blesser lors du premier combat.

J’ai lu que tu t’entraînais parfois à la montagne. T’aimes prendre de la hauteur ?

Je suis allé m’entraîner en altitude. En début de préparation, c’est cool. Après, quand je reviens, je me remets à fond dedans, le régime, etc. Normalement les globules rouges sont bien montés donc c’est moins violent et ça me fait des petites vacances.

Tu marches ?

J’aimerais bien faire des randonnées en raquette haha. Non, c’est entraînement hardcore : beaucoup de physique pour stimuler le cardio et faire monter les globules rouges. Beaucoup de fractionné, de course à pied, on me tient les pattes d’ours et j’envoie.

Et sur le ring ? Comme beaucoup de boxeurs, t’es un gars détente à la ville qui se métamorphose sur le ring…

Là, je suis détendu, mais je suis une pile électrique, que ce soit avant le fight ou même en dehors. J’ai pas de travail à faire particulier. J’avais écouté un de tes podcasts où tu disais que tu essayais de détester ton adversaire…

J’essayais d’imaginer que c’était un nazi. Mais ça n’avait pas marché, je suis un agneau.

Moi, j’ai pas besoin de ça. J’ai déjà la haine en moi. Pas de souci. Pas besoin d’imaginer quoi que ce soit.

C’est bien pour ta carrière ! D’ailleurs, en parlant de carrière, t’es très pro sur LinkedIn, tu fais des posts en français et en anglais, avec des clins d’œil au monde de l’entreprise… Est-ce qu’aujourd’hui, ce genre de communication est un passage obligé pour réussir ?

Je pense. Faut se diversifier un maximum. L’image des sports de combat a beaucoup évolué. Maintenant c’est de moins en moins connoté racaille, gogol et bagarre de rue. Si les gens veulent collaborer avec toi, il faut un minimum de professionnalisme. Si j’avais pas lancé un LinkedIn on se serait peut-être jamais retrouvés.

La boxe en col blanc se développe beaucoup. Tant mieux si ça fait vivre des boxeurs et des coachs. Tant mieux si des cadres s’éclatent. Mais est-ce qu’on ne se coupe pas un peu de l’essence de la boxe ? A la fois son côté populaire et son côté brassage social. Dans les salles de boxe à l’ancienne, il y avait un vrai mélange, tu étais accepté d’où que tu viennes à condition que tu fasses tes preuves sur le ring… Ça me gêne un peu le côté club de riches avec un tarif à l’entrée super élevé. Qu’est-ce que t’en penses ?

Je donne des cours dans des salles très huppées à Paris. La priorité, c’est vraiment le plaisir, zéro bobo. C’est autre chose. Ces nouveaux clubs sont une opportunité car ils me permettent, au travers du coaching, de vivre de la boxe ce qui était inespéré il y a 10 ans. Mais c’est vrai qu’on perd un peu de sacré. Qu’est-ce que c’est qu’être un boxeur ? Moi, j’ai consacré ma vie à ça. On ne peut pas tout mettre sur le même pied d’égalité. Tant mieux si ces clubs permettent de démocratiser la boxe, c’est à nous les acteurs de la boxe de remettre cette pratique pugilistique dans son contexte. Quand je raconte mes expériences aux gens que je coach, je parle des vraies choses : les impacts, la haine, la peur… Mais aussi des valeurs de diversité et d’inclusion fondamentales pour moi dans le sport et la boxe.

Une dernière pour la route : la boxe anglaise, ça te tente ?

Je veux pas me jeter des fleurs, mais je pense que je suis plutôt bon. En venant du pied-poing, en termes de déplacement, je suis super à l’aise. Et le cardio c’est n’importe quoi : je termine les rounds, je peux faire des pompes, des saltos arrière… Maintenant, j’avoue que le niveau est très très haut. Ils ont que deux armes depuis le début et ils savent très bien s’en servir. Et puis, plus le temps passe, plus je vois que ça tape le cerveau : les mecs commencent à avoir des tics, des petites absences.

Après, c’est vraiment un milieu spécial. A partir du moment où il y a de l’argent, il y a des problèmes. Les commotions cérébrales sont énormes, t’es mal payé et en plus tu te fais voler…

NZ

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