C’est le chapitre 7 de La boxe c’est quoi et plutôt que de me livrer à mes habituelles divagations existentialo-pugilistiques, je vais vous raconter l’histoire d’une rencontre, celle d’Arturo « Thunder » Gatti et Micky « Irish » Ward.
Nous sommes le 18 mai 2002, à la Mohegan Sun Arena, Uncasville, Connecticut. Le 9e round du main event est sur le point de débuter et les deux hommes sont dans un drôle d’état. Depuis le coup de gong initial, Arturo et Micky prennent un malin plaisir à échanger les parpaings. Les deux guerriers refusent obstinément de céder un pouce de terrain.
L’année précédente, Gatti a été battu par KO au 5e round par Oscar De La Hoya. Redescendu chez les welters, il tente de se relancer alors que beaucoup le croient fini. Il faut dire que le Montréalais paye son dû sur le ring. Il encaisse comme jamais, frappe comme jamais et saigne comme jamais. Résultat : le public adore son style ; son docteur, un peu moins. Son adversaire du soir, Micky Ward, ne fait pas non plus dans la dentelle. C’est un diesel qui avance sans cesse sur ses adversaires, un dur au mal qui encaisse des volées de coups en attendant de placer sa spéciale : le crochet du gauche au corps. Le natif de Lowell, Massachussetts, n’a jamais vraiment eu sa chance. À 37 ans, il songeait à raccrocher quand on lui a proposé une dernière danse contre Arturo Gatti. Il a relevé le gant sans la moindre hésitation.
Dès le premier round, Gatti, plus en jambes, ouvre Ward au niveau de l’œil droit. Il en faut plus pour décourager Micky. « Je savais que je n’allais pas reculer et qu’il n’allait pas reculer », remet-il. Au centre du ring, quasiment sans garde, les deux hommes se rendent coup pour coup. Dès la fin de la troisième reprise, le public est debout. Après avoir globalement dominé les premières reprises, Gatti est de moins en moins mobile. Malgré la fatigue, Ward prend lentement l’ascendant.
Arturo est lui aussi ouvert à l’arcade. Œil pour œil ! Comme si les deux hommes n’étaient plus qu’une seule et même personne. « J’ai toujours rêvé de boxer mon frère jumeau, je l’ai trouvé ! » se félicite Gatti. Combien de temps peuvent-ils tenir ce rythme infernal ? Ils boxent sur un fil en faisant mumuse avec la Grande Faucheuse. À ce niveau de violence, ce n’est plus leur carrière qu’ils mettent sur le tapis, c’est leur vie.
Ward entame le 9e round pied au plancher. Il place un crochet au corps assez puissant pour scier un homme en deux. Le visage déformé par la douleur, Gatti met un genou à terre. Il se relève tant bien que mal pour essuyer une pluie de coups. L’affaire semble bien mal embarquée lorsque, soudain, l’inexplicable se produit : Gatti renaît de ses cendres. Avec l’énergie du désespoir, il bloque un Ward épuisé dans les cordes et le passe à tabac. Quelques dizaines de secondes plus tard, « Irish » reprend l’avantage grâce à une série d’uppercuts. Gatti est KO debout. Le commentateur de HBO supplie l’arbitre, Frank Cappuccino, d’intervenir. En vain. On ne sait trop comment, le Montréalais survit à ce round, sans doute l’un des plus sanglants de l’histoire moderne. Trois minutes de pure folie et 110 coups portés ! Les deux boxeurs sont en lambeaux. Ils croient que le combat est terminé. L’arbitre doit les rappeler à l’ordre. Le dernier round donne lieu à un nouvel échange d’amabilités.
Quand la cloche met fin au bain de sang, les deux héros sont debout. Ils n’ont pas cédé. Les jambes chancelantes, ils se prennent dans les bras. Ward l’emporte. Gatti le félicite chaleureusement. Quelques heures plus tard, ils déconnent joyeusement côte-à-côte dans leurs lits d’hôpital. Suivront la revanche et la belle, nettement remportées par l’Italo-Canadien. « Les étoiles s’alignent et boum : c’était lui et c’était moi. Arturo fera toujours partie de moi. Nous sommes liés pour toujours par l’histoire de la boxe », confie Micky Ward après la disparition de son ami, retrouvé mort dans une chambre d’hôtel en 2009. KO pour l’éternité.
LA BOXE c’est quoi ? est publié aux éditions vroom originals
Texte : Nicolas Zeisler
Illustrations : Ferry Gouv
Préface : Bruno Surace
Édition : Hossein Adibi
Supervision éditoriale : Jérémy Denis
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