Tout plutôt qu’un vrai boulot — Tex Cobb (42-7-1)

Culture Boxe

Mes petites morts est sorti le mois dernier aux éditions Allia. Une bonne raison de poser quelques questions au meilleur d’entre nous.

Culture Boxe : Au moment de boucler les Mille et une reprises, vous aviez l’air d’en avoir fini avec la boxe. Alors quoi ? Vous êtes reparti pour un tour ?

FNR : Il ne faut pas confondre ses désirs et la réalité, il ne faut pas confondre écrire et éditer. Personnellement, oui, j’en ai fini avec la boxe et depuis un bon moment, tout comme avec un tas d’autres trucs qui m’ont pourtant passionné… Mille et une reprises, au bout de cinq ans de boulot et de presque trois millions de signes, il s’en allait temps. Seulement, il ne me reste quasiment plus grand chose en magasin… alors ! Je n’ai pas trop envie de repiquer à l’autofiction : mon papa, ma maman, mon tonton, ma tata qui sont, pourtant, bien plus pittoresques que la moyenne actuelle, ni à la fiction pure made in USA, ni d’assommer les sommités avec mes contrepieds dialectiques… cela sans compter que je suis paresseux comme une couleuvre et aussi mal vu que l’ophidien. Je suis donc reparti pour un tour et pour un autre encore en janvier 2026. Après ? on verra bien. N’oubliez pas que les 80 sont en vue. Certes, pour l’instant, les analyses sont bonnes et, une fois bien maquillé, je ne fais pas mon âge, mais je l’ai, c’est celui de tous les dangers.

J’aime beaucoup le titre, Mes petites morts. Explication de texte ?

La « petite mort », c’est l’orgasme. Il n’y en a pas beaucoup dans ces textes, on sent l’affaire, désormais, plutôt ménagère, mais on emploie aussi l’expression pour définir le phénomène qui guette le sportif lorsqu’il arrête les frais, l’équivalent athlétique de la dépression post-partum en quelque sorte. Les cinq textes qui composent Mes petites morts racontent comment un type qui me ressemble vaguement a traversé cette période. Comme il n’est pas tout à fait comme tout le monde, il la traverse différemment que Diagana ou Jalabert… « François » ne fait pas le consultant, ni l’arbitre, ni l’entraîneur, il ne se relève pas la nuit pour regarder des combats à la con à des heures pas possibles, il n’est pas fan d’un tel ou d’un autre, il ne pousse pas ses enfants à réussir là où il a foiré, il n’assiste pas à des réunions improbables, il écrit sur le sujet, à droite, à gauche puisqu’on le lui demande et qu’il n’y a pas grand monde qui veut s’en charger. En fait, comme Desiree n’était pas un livre sur Tyson, mais sur le viol, Mes petites morts est un livre sur la disparition. De ses jambes et de ses réflexes, de ses amis et même de la reconnaissance dont il était vaguement l’objet… la preuve : une journaliste qui n’y connaît que dalle peut lui coller une danse à propos de son sujet de prédilection comme le plus mauvais des petits jeunes lui en collerait une sur le ring.

Dans Quand Tom monte à Paris, vous proposez une vision assez sombre des années 80. Il y a une phrase notamment : « des livres à ne surtout pas écrire comme des boxeurs à ne jamais rencontrer ». Il y a vraiment des livres et des boxeurs à éviter ?

Bien sûr qu’il ne faut pas écrire certains livres, je vous l’assure d’expérience, j’ai été déshérité à la publication de mon deuxième livre. Quant aux boxeurs, il y en a des tas qui ont été soigneusement évités, Charley Burley que Robinson ne voulait pas rencontrer pour rester joli garçon, tous les types de la Black Murderers’ Row, plus récemment Benny Briscoe dont ses adversaires savaient qu’ils allaient, peut-être, gagner, mais qui étaient sûrs d’avoir mal à la tête le lendemain.

Dans Ou alors, des cèpes, vous revenez sur votre Muhammad Ali. Est-il encore possible d’écrire un livre intéressant sur le sujet ?

Evidemment. Un des livres les plus intéressants au sujet d’Ali serait la démolition du mythe. Sa carrière sportive, on peut la reconsidérer calmement sans trop énerver le fanatique : il avait perdu la demi-finale des Jeux de Rome contre Tony Madigan, en pro, il a perdu contre Doug Jones et contre Jimmy Young ; il a perdu trois fois contre Ken Norton ; il a mis quinze rounds à venir à bout de Wepner et de Chuvalo qui étaient des sacs ; Blin, Middenberger, London, Coopman, Lubers, Dunn, c’est qui ? Evangelista ne savait pas boxer, Bugner c’était pas une vedette non plus ; contre Shavers, c’était juste ; Bob Foster pesait vingt kilos de moins que lui ; les deux combats contre Liston ? on ne saura jamais le fin mot de l’histoire ; son plus beau combat, c’est sa victoire sur Cleveland Williams qui avait un rein en moins et une balle qui se baladait on ne sait pas trop où. En dehors du ring, c’est là où le bât blesse et où il risque d’y avoir des pleurs et des grincements de dents, il s’est conduit comme un salopard, il a traité Frazier comme une merde, les femmes comme un garage à bites, Deer Lake était un bordel à ciel ouvert, s’il avait soutenu Malcom X, Malcom X serait, peut-être, encore vivant, il a passé vingt ans à regarder le ciel pour voir débarquer les soucoupes volantes ; avant d’être carrément gâteux, il répétait les trois mêmes conneries écrites à son intention. Tout le cirque pénible d’aujourd’hui : la pesée spectacle, le trash-talkin’, le show boating, les face-to-face-je-te-tiens-tu-me-tiens-par-la-barbichette, on les lui doit. Pas de quoi se voir proclamé plus grand sportif de tous les temps ! et ne parlons pas de sa transformation tardive en icone new-age politiquement correcte, le fond est con comme le New Age et ne vient pas de lui non plus, c’est sa dernière femme qui est aux manettes et c’est une opération commerciale, parfaitement réussie, d’ailleurs. Voyez, il y a matière ! tout est là, il n’y a plus qu’à se servir. L’Insoumis, c’est du pipeau ! Celui qui s’en chargera se fera traîner dans la boue, on comprend qu’il n’y ait pas beaucoup de volontaires, moi, je veux bien y aller, j’ai les dossiers, mais faut envoyer les biftons… et un bon paquet.

Pouvez-vous nous remettre en tête votre parti-pris pour cadrer le bonhomme dans Alias Ali ?

Le procédé utilisé pour Alias Ali, c’est celui de la « biographie orale », on retrace la vie du sujet à partir des témoignages à son sujet. Aux Etats-Unis, l’oral biography est un genre en soi comme chez nous l’autofiction, en France, à ma connaissance, je suis le seul à en avoir écrit une, je figurerai pour cela dans les prochaines histoires de la littérature française… j’y compte bien, sinon je porte plainte ! En fait, je suis persuadé du contraire, le type qui en écrit une sur l’abbé Pierre, le père Pélicot ou Althusser, sera salué comme un précurseur par les Inrocks et j’irai me faire cuire un œuf.

Comme dans la plupart de vos livres, on sent que vous aimez les boxeurs, plus trop la boxe. Pourquoi ?

C’est tout à fait ça, je n’ai vraiment aimé la boxe que lorsque j’en faisais, ça fait donc un demi-siècle que je me traîne le fardeau, tout ça parce que le ring, c’est le monde et que la boxe, c’est la vie… vous le savez bien ! en revanche, on n’est pas obligé d’aimer le monde ni la vie que l’on y mène, ça n’empêche pas pour autant d’aimer les gens.

La suite ?

La suite ? C’est la surprise ! En tous les cas, le prochain livre clôt un projet : Trois de trois, qui concerne aussi bien l’écriture que l’édition.

« Un livre sur la disparition » : Frédéric Roux réapparaît avec « Mes petites morts »