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Culture Boxe

Arthur Cravan, Golpeador

Par    le 3 février 2020

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Il voulait être « tous les hommes, toutes les choses et tous les animaux ». Le neveu d’Oscar Wilde, mystérieusement disparu il y a près d’un siècle, a été poète, directeur d’une revue, déserteur, marchand d’art et surtout boxeur.

Le dimanche 23 avril 1916, les Arènes Monumental de Barcelone accueillent un match de boxe pas comme les autres. Dans le coin gauche, Jack Johnson, premier noir champion du monde des lourds, délesté de son titre par Jess Willard à La Havane l’année précédente. Âgé de 38 ans, légèrement empâté, Johnson est un homme en exil. Aux Etats-Unis, l’establishment ne lui pardonne pas d’avoir remis en question la présumée supériorité physique de l’homme blanc. Sans compter son goût pour les voitures de sport, la provocation, les costumes et les femmes blanches. « De 1908 et sa conquête du titre aux dépens de Tommy Burns à 1915, Jack Johnson a fait surgir le sentiment d’une horrible menace sur la destinée américaine en corrigeant tous les boxeurs blancs qu’on lui livrait en pâture », remet l’historien Etienne Moreau qui a travaillé sur les sportifs noirs aux Etats-Unis.

Dans le coin droit, Fabian Lloyd dit Arthur Cravan, 28 printemps et poète de son état. « Il a découvert la boxe en arrivant à Paris en 1909 pour devenir poète », explique Aitor Quiney, docteur en histoire de l’art et co-auteur du catalogue de l’expo Arthur Cravan, Maintenant ? (Musée Picasso, Barcelone, 2018). Cravan est un touche-à-tout. Né de parents anglais, il a grandi à Lausanne avant de prendre la poudre d’escampette à intervalles réguliers : il a été cueilleur d’oranges en Californie, bûcheron en Australie, homme de chauffe sur un paquebot, chauffeur d’ambulance à Berlin, cambrioleur en Suisse… Il se présente également comme le neveu d’Oscar Wilde auquel il est lié par sa tante. Celui qui se vante de « bourrer (s)es gants de boxe de boucles de femme », a tout de même accroché un titre de champion de France amateur des mi-lourds à son tableau de chasse. « Il est devenu champion sans donner un coup de poing, son adversaire ne s’étant pas présenté à cause d’une grippe », pondère Aitor Quiney.

Entre 1912 et 1915, Cravan lance sa propre revue, Maintenant, dont il est l’unique contributeur et qu’il distribue dans Paris à l’aide d’une brouette. L’homme a des ambitions littéraires : « j’écris pour faire enrager mes confrères et tenter de me faire un nom », mais il produit peu, trop occupé à se produire lui-même dans des conférences où il boxe, danse, insulte le public, tire des coups de feu en l’air ou menace de se suicider. Des réunions qui finissent invariablement en bagarre générale, Cravan, bien aidé par son double-mètre et ses cent kilos, n’étant pas le dernier à faire usage de ses poings.

La Première Guerre mondiale bouleverse son existence parisienne. Cravan n’a aucune intention de s’enterrer dans les tranchées. Il traverse l’Europe à feu et à sang pour disputer un combat de boxe à Athènes en se faisant passer pour un champion canadien. Puis il rentre à Paris avant de gagner l’Espagne grâce à l’argent de la vente d’un faux Picasso et d’un vrai Matisse. À Barcelone, il se fait engager comme professeur de boxe au Real Club Maritimo. Et prépare son combat contre Jack Johnson.

Pour les besoins du documentaire Cravan vs Cravan (2002), le réalisateur Isaki Lacuesta a retrouvé un témoin, Juli Lorente, qui a vu le combat quand il avait sept ans : « Jack Johnson aurait pu l’emporter dès le premier round. Cravan était un styliste mais il n’avait ni les qualités ni la puissance pour le mettre en danger ». Pendant six rounds, Johnson a joué au chat et à la souris avec Cravan. Il l’a houspillé, couvert de moqueries, avant de l’envoyer au tapis pour le compte d’un direct du droit suivi d’un crochet du gauche. Six rounds c’est une belle performance pour quelqu’un qui dispute son premier combat professionnel contre un ancien champion du monde : « Johnson a sans doute fait durer le plaisir pour toucher les droits cinématographiques », éclaire Lacuesta. Jacques Duvall s’est inspiré de ce combat pour écrire la chanson Arthur Cravan VS Jack Johnson, interprétée par Benjamin Schoos. Il en apprécie la dimension poétique : « Cravan est un boxeur dérisoire mais il est entré dans l’histoire en osant défier le champion du monde. C’est beau de monter sur le ring en sachant que tu vas recevoir une correction ». Frank Nicotra, ancien champion d’Europe des super-moyens et protagoniste du documentaire Cravan vs Cravan relativise l’importance du résultat : « Pour Cravan, boxer c’était avant tout un moyen d’exister, de se montrer. Son combat contre Johnson, c’est plus une provocation ou un spectacle qu’autre chose. Pour tenir la route devant un adversaire de ce niveau, il faut une hygiène de vie et un niveau d’entraînement que Cravan n’avait pas ». Certains historiens de l’art font de Cravan un précurseur de Dali et de Warhol. Aitor Quiney parle « de la première performance de l’histoire de l’art ». André Breton y verra un moment du surréalisme.

Remis à flot par la bourse du combat, Cravan achète un billet pour New York. Il débarque en janvier 1917 après avoir fait le voyage en compagnie d’un certain Léon Trotski. Ce dernier en dit deux mots dans ses mémoires : « Il avouait franchement qu’il aimait mieux démolir la mâchoire à des messieurs Yankees, dans un noble sport, que de se faire casser les côtes par un Allemand ». Arthur Cravan vit chichement, fréquente la faune de Greenwich Village, donne une conférence sur l’art qui se finit une nouvelle fois en distribution de mornifles après qu’il a entrepris de se dénuder devant un parterre de riches bourgeoises. Puis la bougeotte le reprend. Déguisé en soldat pour éviter la menace de la conscription, il traverse les Etats-Unis et le Canada. À Terre-Neuve, il embarque sur un bateau de pêche à la morue et navigue jusqu’au Mexique.

Mexico est l’endroit idéal pour remettre les gants. Il y donne des cours de boxe tout en rêvant à une revanche contre Johnson. « Cravan admirait Johnson, l’homme et le boxeur. Jusqu’au bout, il a conservé l’espoir de le reboxer, même en sachant qu’il allait perdre à nouveau. C’était devenu une obsession et le moyen de trouver de l’argent car il était ruiné », explique Aitor Quiney. Johnson ne donnant pas suite, Cravan affronte un certain Jim « Black Diamond » Smith pour le titre de champion de la République du Mexique. Il est mis KO en deux petits rounds.

Il est rejoint par Mina Loy, une poète en vue dont il s’est amouraché à New York et qu’il épouse au Mexique. Ensemble, ils reprennent la route, vivent dans une misère relative, donnent des représentations théâtrales dans les villages qu’ils traversent. Mina est enceinte. Faute de moyens, ils décident de se séparer momentanément. À Veracruz elle embarque pour Buenos Aires où il est censé la rejoindre.

Blaise Cendrars prétend qu’Arthur Cravan s’est fait poignarder dans une boîte de Mexico. Les surréalistes rapportent qu’il a disparu en mer à bord d’une petite embarcation. Un corps qui pourrait être le sien a été retrouvé sans vie dans le Rio Grande. Certains de ses amis sont persuadés qu’il n’est pas mort noyé. Le 29 novembre 1913, Cravan avait tenu une conférence au Cercle de la Biche à Paris. Il avait regretté que le choléra n’ait pas emporté les grands poètes à trente ans, car « mourir jeune leur eût épargné une vie mesquine ». Arthur Cravan a disparu en novembre 1918. Il avait trente-et-un an.

NZ

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