Tout plutôt qu’un vrai boulot — Tex Cobb (42-7-1)

Culture Boxe

« Que c’est beau, la boxe ! »

Par    le 4 janvier 2020

boxe

Texte initialement publié dans un numéro spécial d’Art Press 2 consacré à la boxe, quelques mois après les Jeux olympiques de Rio.

Mon vieux coach me l’avait bien dit. Quelques jours avant de m’envoyer faire le coup de poing à la Arena Mexico pour le premier tour du tournoi de boxe de la ville, il avait interrompu ma méditation devant le ring vide de l’arène mexicaine d’une phrase toute simple : « Là-haut, tu verras, c’est une autre histoire ».

Depuis, et malgré une belle dégelée reçue au passage, cette histoire me colle à la peau. Un sac de sport rempli de souvenirs. Le trac qui prend les tripes et coupe les jambes dans le vestiaire. La lumière du ring, aveuglante, et ce type en face qui veut en découdre. La solitude malgré les hurlements de la foule qui sont autant d’invitations à faire front. Sous peine de perdre la face. A la boxe on apprend à devenir un homme en accéléré. Trois fois trois minutes pour les plus pressés.

Sauf qu’elle a du plomb dans l’aile, la boxe. Trop de fédérations, trop de ceintures. On y comprend plus rien avec tous ces titres fantoches. Et puis ces soi-disant terreurs, couvées par leur promoteur, qui boxent des faire valoir pour faire gonfler leur palmarès. Sûr que ces Don King à la petite semaine se réveillent parfois en sueur après avoir cauchemardé la première défaite de leur protégé. Rendors-toi pauvre pomme, ton gars boxe un Roumain la semaine prochaine. Du reste, c’est ce qu’il y a de plus beau en boxe, la défaite. Tomber et se relever, cette bonne vieille farce tragique, on a jamais fait mieux. Tous les grands sont passés par là : Ali, Frazier, Foreman, Hagler, Leonard… une liste longue comme le bras de Thomas Hearns qui y figure lui-même en bonne place.

Sur le ring ou en-dehors, il est urgent de refaire l’expérience de la défaite : répondre aux coups du destin, tenir le choc, relever le gant. Les jeunes ne veulent plus prendre de coups, regrettait Jean Cau en 1978, avant de faire remarquer à juste titre que le pastis tuait bien plus que la boxe. Comme quoi, cette désaffection ne date pas d’hier. On se flingue par ordinateurs interposés mais on met à l’index la boxe et la tauromachie. « Sport de sauvages », qu’ils disent. Ce qui ne les empêche pas de retourner leur veste à la première moisson olympique venue et de courir inscrire leurs gosses à la salle.

Il faut dire que nos boxeurs ont fait du bien à la France. Une équipe de toutes les couleurs qui gagne avec la manière, ça ne court pas les rues. D’autant qu’au pied du ring, dégoulinants de sueur, ils ont tous parlé d’une même voix : avec du travail, tous les rêves, même les plus fous, sont possibles. Du travail, de la sueur et du sang. A croire qu’un séjour prolongé entre quatre cordes vous en apprend plus que cinq ans le cul posé sur les bancs de la fac. C’est que nos boxeurs ont pris des coups. Ils mettent chaque jour leur intégrité physique en jeu sur le tapis. La peur et la douleur, ils connaissent. Trop souvent, ils ont éprouvé la défaite dans leur chair. Certains en portent encore les stigmates sur la gueule. Leurs victoires n’en sont que plus belles.

cissokho-slider

Aujourd’hui, ils ont provoqué une ruée vers le ring. Et demain, quand la vague d’enthousiasme aura été dispersée par les premiers coquards ramenés à la maison ? La boxe, ce vieux sport de brutes idéalistes a-t-il encore un avenir ? Combien sommes-nous à deviner encore la beauté de ce spectacle anachronique ? La beauté de deux mecs dans la fleur de l’âge qui tiennent une forme du tonnerre, tout heureux de se châtaigner sans penser au lendemain. La beauté de l’inutile. Celle de Peyrony, le héros des Olympiques de Montherlant, qui aère sa chambre avant de s’endormir. La grande jeunesse, en somme.

La boxe est une vieille dame. Son visage porte la trace de mille tragédies. Mais cette figure cousue de rides et de cicatrices reste son plus bel atout. C’est cette patine de légende qui se pose sur ses champions à mesure que les années filent. C’est le souvenir des temps héroïques. C’est ce qui fait qu’on y revient toujours. La boxe vivra à condition de ne pas avoir la mémoire courte. Ni le jab. Ça, c’est mon vieux coach qui le dit.

NZ

« Que c’est beau, la boxe ! »