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Culture Boxe

Tony Yoka, devenir le plus grand

Par    le 15 février 2017

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Des comme ça, on n’en croise pas à tous les coins de ring. Tony Yoka (24 ans, 2 m, 105 kg) a un nom, une gueule et il est bourré de talent. Depuis quelques mois, il est champion olympique des super-lourds. Comme sa go, Estelle Mossely, en poids légers. Un couple en or et une première pour la boxe hexagonale prétendument exsangue. Et ce n’est qu’un début.

Le charme de la catégorie reine ? Le moindre coup de poing peut à tout moment faire basculer le cours d’un combat, d’une vie, de l’histoire. Jadis, le champion des lourds était considéré comme l’homme le plus fort du monde. Autant dire que l’exploit de Yoka n’est pas à prendre à la légère.

Tony a les idées claires. Depuis longtemps. A treize ans, il convainc Victor, son boxeur de père, de lui apprendre les bases. Tony est à bonne école. Victor a fait ses armes à la salle des Gorilles à Kinshasa. En 1974, il a assisté aux entraînements d’Ali et de Foreman. Il a suivi son étoile jusqu’en France. Avant qu’elle ne s’éteigne, la faute à des rétines trop fragiles.

Comme ses compatriotes, Victor a choisi Ali. Il a transmis à son fils une boxe aérienne, faite d’esquives et de déplacements. Après un an à pousser les meubles du salon du F4 familial de la Cité de la Noé, à Chanteloup-les-Vignes, pour faire boxer Tony et sa grande sœur Samantha, Victor n’a plus le moindre doute sur le potentiel du gamin. Et lui confie sa prédiction : « En 2012, tu iras aux JO, tu décrocheras l’or quatre ans plus tard ». C’est ce qui s’appelle avoir du flair.

Entre-temps, Victor a passé le relais à Luis Mariano Gonzalez. A l’INSEP, ce dernier forme l’adolescent à sa façon. Chaque geste est minutieusement décortiqué. C’est la magie de l’école cubaine : une boxe scientifique pratiquée par des morts de faim sur des tapis de ring défoncés. Des boxeurs qui, faute de moyens, partagent gants, casques, bandes et protège-dents. Et cognent pour faire mal. Cette rudesse, Tony l’a touchée du gant. On ne compte plus ses voyages à La Havane. Là-bas, il a gagné le respect en se frottant au gratin local. Il a payé son dû, comme tout un chacun.

La France n’est pas un pays de poids lourds. Georges Carpentier était un magnifique mi-lourd mais il n’a pas fait le poids face à Jack Dempsey et ses frappes de bûcheron. C’était en 1921. Même tarif pour Lucien Rodriguez qui n’a rien pu faire devant la puissance, l’allonge et le talent de Larry Holmes. C’était en 1983. Une sacrée période de vaches maigres. Preuve de l’incapacité gauloise à comprendre la psychologie des poids lourds ? En France, il faudrait que le champion la boucle. Il a beau avoir quitté sa condition, il est invité à rester bien poliment à sa place. Cette manie de se pincer le nez devant ceux qui se sont élevés à la sueur de leur front.

Sauf que la boxe est un jeu cruel. A fortiori en lourd. Les places au soleil se comptent sur les doigts de la main et n’importe laquelle des droites échangées sur le carré magique nous plongeraient, vous et moi, dans un sommeil sans rêves. Ceux qui se risquent entre quatre cordes doivent savoir ce qu’ils veulent et ce qu’ils valent.

Depuis 2012 et son élimination prématurée à Londres, Tony Yoka n’a cessé de durcir sa boxe. Chez Adam Booth, en Angleterre, auprès des rugueux poids lourds locaux et du Cubain Mike Perez (21 victoires, 2 défaites, 1 nul). Dans la salle de Joseph Germain, à Noisy-le-Sec en se frottant au puncheur franco-camerounais Carlos Takam (34 victoires, 3 défaites, 1 nul). Il a appris à se couvrir. A sentir les coups s’écraser contre ses gants. A les encaisser. A diffuser l’onde de choc jusqu’au petit orteil pour en limiter l’impact. Il a su se construire une armure physique et morale. La conviction de tenir le choc.

Avant les Jeux de Rio, Tony Yoka avait annoncé la couleur – l’or. Il l’a désormais autour du cou. Comme Joe Frazier, George Foreman, Teofilo Stevenson et Lennox Lewis en leur temps. Sans oublier Ali, qui avait commencé à écrire sa légende à Rome, en remportant le titre des mi-lourds. Bien que semé d’embuches, le chemin semble tout tracé.

Certes, des voix vont s’élever. Pour l’inviter à la modestie ou à l’humilité. Oui, Tony Yoka doit faire preuve de sérieux. Mais qu’il ne fasse jamais profil bas. Son arrogance, celle qui lui fait tirer la langue quand il abat un rival ou caler un « Ali shuffle » sur une cheville en finale olympique, il doit la chérir. C’est son ticket pour Vegas. Yoka le sait, on ne devient pas le plus grand en baissant les yeux. Il faut une folie ou une vitalité qui ne s’embarrasse pas des convenances. Ali et Tyson étaient des têtes brûlées. Même le plus policé des champions poids lourds a en lui une confiance inébranlable. Sous peine de flancher devant le premier crochet gauche venu.

Il faut savoir se dire « c’est moi le champion, c’est moi le numéro 1 ». Il faut avoir le cran de prendre des engagements auprès du public, s’obliger à les tenir sous peine de perdre la face.

Le ring ne ment pas. Jamais. Alors, mieux vaut rester soi-même. C’est le défi de Tony Yoka.

S’il le relève, il sera champion du monde des lourds avant cinq ans.

PS : un coup de chapeau aux papiers de l’excellent Karim Ben Ismail sur Tony Yoka dans L’Equipe. Celui-ci leur doit beaucoup.

NZ

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