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Culture Boxe

Tony Yoka, anatomie d’une chute

Par    le 10 décembre 2023

Tony-Yoka
Crédits : Getty Image

Cette fois, ça va être difficile de continuer à y croire, même en redoublant de bonne volonté. Alors, rideau ?

Si l’on avait pu, à juste titre, pointer quelques errances dans le choix de ses adversaires précédents (Bakole était sans doute un step-up trop ambitieux et Takam pas le bonhomme idéal pour se relancer), là, tout avait été fait pour offrir une victoire facile au Français. Il allait pouvoir se refaire la cerise avec un cruiserweight surgonflé qui lui rendait pas moins de 20 centimètres.  

En toute franchise, je pensais que le plan se déroulerait sans accroc. Cette formalité expédiée, j’aurais bien vu un autre combat pour achever de remettre le bonhomme en selle, contre un adversaire plus conforme à la morphologie de la catégorie reine. Pas un foudre de guerre, non, mais un vrai poids lourd. Pour une nouvelle victoire ? Et une chance européenne ? Ça fait un bout de temps que je ne me fais plus d’illusion sur le potentiel mondial de Yoka. Mais j’aurais suivi la reconquête avec une curiosité teintée de bienveillance. 

Stupéfait devant le spectacle d’hier soir, j’ai repensé à ce qu’Ernest Hemingway dit de l’impact du premier coup de corne. Avant, le matador effectuait ses passes, collé au taureau, jouissant d’un agréable sentiment d’invulnérabilité. Puis la corne s’est enfoncée, fouillant la chair à la recherche de l’artère fémorale. Il s’en est tiré. Il est redescendu dans l’arène. Sans doute parce qu’il ne savait pas quoi faire d’autre ou qu’il considérait que ce premier coup de corne, c’était « la faute à pas de chance ». Maintenant qu’il est de retour, il a beau se forcer, s’entraîner jusqu’à l’épuisement ou multiplier les déclarations d’intention, dès que les cornes s’approchent, c’est toute la machine qui déraille. C’est un phénomène qui s’est déjà vu entre quatre cordes.

J’avais eu la dent dure contre Virgil Hunter. J’ai toujours trouvé qu’il faisait boxer Yoka contre-nature. Et puis son côté gourou, chauve à lunettes, pénétré de son propre charabia, me sortait par les trous de nez. Je n’ai rien contre Don Charles. Je l’ai observé dans le coin de Yoka et ses conseils étaient frappés au coin du bon sens. Profiter de son allonge supérieure. Allonger son jab. Mettre du volume. Des choses simples. Quand le bateau Tony s’est mis à tanguer, Don Charles a eu des mots forts sur l’amour, la fierté, le travail et l’absence de regrets. Ça n’a pas suffi. Tony Yoka répondait : « Yes sir ! » mais son regard disait : « Qu’est-ce que je fous là ? »

Il n’y a plus d’analyse technique qui tienne. Désormais, n’importe quel combat sera susceptible de virer au cauchemar. Et le moindre coup encaissé, même contre un tocard, de relancer la machine infernale. Du plaisir sur le ring ? Même pas en rêve. Quand c’est fini, c’est fini. Ce qui me rappelle un passage d’une nouvelle d’Hemingway, Trois jours de tourmente :

« Brusquement tout a été fini, fit Nick. Je ne sais pas comment ça s’est fait. C’était plus fort que moi. Comme quand les bourrasques de trois jours s’amènent, comme maintenant, et arrachent toutes les feuilles des arbres. »


C’est la fin d’une histoire d’amour.  

On ne sait pas ce qu’il va devenir mais, en général, ça finit mal. Rien n’interdit à Tony Yoka de faire fructifier son nom et le souvenir de son titre olympique (chez les pigeons saoudiens ?) au risque de ramasser quelques peignées au passage.

Yoka et les Français ne se sont pas compris. Je ne sais plus trop où, Montherlant écrivait ces mots sur la France : 

« C’est la pagaille installée, innocente et heureuse d’elle-même, c’est le râlage qui finit en blague, c’est une gentillesse un peu aigre, c’est la France, c’est quelque chose que j’ai détesté jadis et que maintenant j’aime assez, tout en n’étant pas très sûr si j’ai raison de l’aimer. » 

On pourrait ajouter la critique facile et la lâche moquerie.

Je n’ai jamais trouvé Yoka particulièrement arrogant. Il a affiché ses objectifs et ses ambitions, voilà tout. On ne devient pas un champion en s’excusant d’exister. Il a joué, il a perdu. Il a profité d’une surexposition qui a gonflé ses bourses. Et par un (juste ?) mouvement de balancier, le trop plein de pression a transformé la poule aux œufs d’or en accident industriel. 

Faut vivre avec ça, maintenant. Avec les défaites. Avec les illusions perdues. Avec ses fragilités et ses promesses non tenues. La religion (Big George) ou quelques séances sur le divan ne seraient pas de trop pour supporter le regard goguenard de 68 millions de Français, trop contents de brûler ce qu’ils ont adoré. Le dernier combat de Tony ?

Tony Yoka, anatomie d’une chute