Tout plutôt qu’un vrai boulot — Tex Cobb (42-7-1)

Culture Boxe

mormeck

En novembre 2017, j’ai été invité au salon du livre sportif de Bressuire suite à la sortie de Beauté du geste. Pendant un jour et demi, les lecteurs n’ont pas été légion et les écrivains se sont rabattus sur la lecture de L’Equipe, les pichets de rouge et les généreuses côtes de bœuf du bistrot du coin. Jusqu’à l’arrivée de Jean-Marc Mormeck !

Comme hier matin, il n’y a pas un chat, mais cet après-midi, Jean-Marc Mormeck passera pour présenter un livre d’entretien et donner une conférence. Votre serviteur fera office de sparring partner. Un journaliste local sera chargé d’animer la discussion. Avec un peu de chance, la notoriété de l’ancien champion va attirer le public. Elie Robert-Nicoud devait être de la partie mais son bus part trop tôt. Dommage, un peu de renfort n’aurait pas été de trop. Le bouquin, reçu par service de presse quelques mois plus tôt, est raté. Mormeck l’a-t-il lu ? Rien n’est moins sûr. En tout cas, il ne l’a pas écrit. On aimerait en savoir plus sur cette défaite, un soir de novembre 2007, au Palais des Sports Marcel Cerdan de Levallois-Perret qu’il n’a jamais pu venger. C’était un combat à sa main et puis tout d’un coup, boum, la foudre est tombée. Une droite du fantasque David Haye l’a fait dégringoler comme un sac de pommes de terre. Dur à digérer. Pendant deux ans, il a tenté d’oublier la boxe. Puis il est remonté sur le ring. Il a pris une dizaine de kilos pour suivre David Haye chez les lourds. Il était prêt à tout pour régler ses comptes. Il a passé cinq ans à boxer contre des hommes plus grands et plus lourds que lui sans jamais recroiser son bourreau.

Dans De la Boxe, Joyce Carol Oates parle de ces retournements de fortune rapides et irrémédiables : « Dans aucun autre sport autant de choses peuvent se produire en un temps aussi bref, et de manière si irrévocable ». C’est un peu comme dans la vie. Elle suit son cours puis, en un dixième de seconde, vous prenez un coup, celui du KO, qui décide de votre destin. Tout s’écroule et vous n’avez rien vu venir. Mormeck a tenu le choc mais cela a très mal été raconté. Le journaliste qui lui a prêté sa plume s’est contenté d’allumer son dictaphone et de recopier consciencieusement. L’ancien champion méritait mieux que ça.

Cela dit, ne comptez pas sur moi pour lui faire la leçon. D’autant que sous son impulsion, le salon du livre revit. Dès les premières heures de l’après-midi, un public bigarré circule dans les allées. Des gueules cassées, des vieillards endimanchés, des jeunes en survêt et des couples avec poussette. Les livres de Mormeck s’arrachent comme des petits pains. La plèbe de la littérature sportive va-t-elle profiter d’un effet d’appel ? La réponse est non sauf pour un ancien présentateur de Stade 2 qui jouit encore d’une certaine cote de popularité auprès du public. Il n’est pas venu pour rien, celui-là. Pris de pitié, Thibaud Leplat, auteur du remarquable La magie du football, achète un exemplaire de Beauté du geste, le seul du week-end.

C’est la dernière conférence de la journée. L’animateur termine sa mission sur les rotules mais non sans panache : il accompagne l’entrée du prestigieux invité en hurlant son palmarès. Le public est en transe. Les licenciés du Bressuire Boxing Club osent même des « Jean-Marc, Jean-Marc ». Sur sa lancée, l’homme au micro présente ma fiche de boxeur : un combat, une défaite, ce qui fait bien rire l’assistance. Jean-Marc Mormeck semble incrédule.

–       Mais pourquoi ?

–       Pour rien.

Je ne suis pas sûr qu’il soit sensible à la beauté de l’inutile, bien que mon maigre palmarès le mette en joie. De toute manière, il est là pour parler de son « nouveau combat », l’insertion des jeunes. J’ai beau tenter de le ramener sur le ring, à la poursuite du fantôme de David Haye, rien n’y fait, même la flatterie : « Quand il boxait, il vous étouffait. On ne finissait le combat suffoqué, même devant la télé », tente votre serviteur quand le champion veut bien lui lâcher le micro. Jean-Marc apprécie mais il ne baisse pas la garde.

Une heure plus tard, au pied de l’estrade :

–       T’as boxé où ?

–       Le combat c’était au Mexique, mais en France, principalement au Bac 9 de Monsieur José.

–       J’aime beaucoup José.

–       Moi aussi.

Puis il ajoute :

–       Bravo pour ton livre.

–       Merci.

–       Et pour ton combat.

Et notre champion me quitte, hilare, avec une grande tape dans le dos (ouille).

NZ

LE JOUR OÙ j’ai serré la pince de Jean-Marc Mormeck